Les nouvelles nominations au Conseil constitutionnel, dont celle de Jean Louis Debré, ont classiquement suscité des protestations stigmatisant « le fait du prince ». Je ne partage pas ces critiques.
D’abord parce qu’un bref regard au-delà de nos frontières indique que la désignation des magistrats exerçant une fonction de justice constitutionnelle est toujours placée entre les mains des autorités politiques qu’elles soient exécutives, délibérantes voire judiciaires.
Ainsi la Cour Suprême est composée par le Président des Etats-Unis. En RFA, les 16 juges sont élus soit par le Bundestag, soit par le Bundesrat. En Espagne, 4 membres du tribunal constitutionnel sont désignés par le Congrès des députés, 4 par le Sénat, 2 par le gouvernement et 2 par le conseil général judiciaire. Et au Portugal, le parlement élit 12 juges lesquels en cooptent 3 autres…
Ensuite, parce que le contrôle de constitutionnalité est nécessairement politique dès lors qu’il ne se limite pas au contrôle de la régularité externe de la loi. Quoi qu’en disent les juristes positivistes les plus orthodoxes. Et que cela n’a pas empêché le Conseil de devenir la clé de voûte de l’Etat de droit en France en assurant la suprématie de la Constitution et des droits fondamentaux qu’elle intègre.
Enfin car si le Président de la République et ceux des Assemblées sont libres de leur choix, l’expérience montre qu’une fois nommés, les membres du Conseil ont montré leur « un devoir d’ingratitude envers ceux qui les ont choisis », selon le mot de Robert Badinter.
Je ne partage pas ton point de vue. Comment ne pas soupçonner, à quelques semaines des échéances électorales, que la nomination de fidèles chiraquiens (Debré et Denoix de Saint Marc qui fut SG du gouvernement en 1986) n’a pas pour vocation de gêner la future majorité, quelle soit sarkozyste ou socialiste, en faisant du Conseil le gardien du temple.
Ca passait encore quand au gré des majorités, la composition du Conseil était équilibrée entre gauche et droite. Désormais Joxe va se sentir bien seul.
Ensuite, les exemples que tu cites sont des juridictions, pas notre Conseil qui reste un organe sui generis à nul autre pareil dans une démocratie libérale.
Trouves-tu normal que le Conseil échappe aux exigences d’impartialité et d’indépendances telles qu’elles sont définies par les engagements internationaux de la France (CEDH notamment) ? En France, le Conseil d’Etat s’est fait remonté les bretelles pour moins que ça. Comme d’ailleurs d’autres cours suprêmes en Europe.
Mitterrand dans « le coup d’Etat Permament » affirmait « qu’une poigné d’avoine ferait rentrer les membres du Conseil à l’écurie. »
Réaction de JJU :
Sur le fond tu poses une question qui touche à la nature du Conseil Constitutionnel : est-il ou non une juridiction ? La réponse n’est pas dans le texte du 4 octobre 1958. En effet, les termes de « juridiction », « jugement », ou « arrêt » n’y figurent pas. Les membres du Conseil ne sont jamais désignés comme des « juges » constitutionnels. Devant ce silence des textes, une majorité des juristes attribua, dès l’origine, au Conseil une nature juridictionnelle quand d’autres le considéraient comme un organe politique. Choisir de répondre que le Conseil applique le droit revient donc à estimer qu’il se comporte comme un juge. Défendre l’idée qu’il le crée aboutit à plaider la nature politique. L’enjeu est délicat.. Mais la controverse, qui anima, en son temps, la doctrine, a perdu de son ampleur et une thèse fait presque l’unanimité chez les constitutionnalistes : celle de la juridictionnalité du Conseil. Ce point étant acquis et compte tenu du bilan du Conseil depuis notamment les années Badinter, je ne crois pas pertinent de classer les membres du conseil soit comme des sages dépourvus de légitimité démocratique, soit comme des otages du jeu partisan. Certes, les autorités ne désignent pas des adversaires politiques. Qui le leur reprocherait ? Mitterrand, Fabius ou d’autres ne firent pas autrement.
Enfin, sans tomber dans le monde des bisounours où le droit serait l’univers de l’impartialité allié à la neutralité et la politique celui des choix partisans comme de l’absence de libre arbitre, il me semble que la qualité de la jurisprudence est reconnue. Aucun gouvernement n’a d’ailleurs jamais estimé avoir été empêché de gouverner par le Conseil. Le spectre du gouvernement des juges ne me parait pas pertinent… Il n’a de fait exister qu’aux Etats-Unis quand la Cour Suprême s’opposa à la politique du New Deal voulue par F. D. Roosevelt en annulant 11 lois de 1932 à 1936…
Finalement, Je suis ravi de te voir prendre la défense du Conseil Constitutionnel car son mode de fonctionnement et sa jurisprudence le mettent en porte à faux avec les standards jurisprudentiels de la Cour Européenne des Droits de l’Homme ou de la Cour des Communautés qui poussent au fédératisme normatif européen, comme quoi tout n’est pas perdu pour toi Jean-Jacques
Jacques Rancière cite en exemple dans « La Haine de la démocratie » la constitution des USA qui, dans sa rédaction a permis, de préserver « le gouvernement des meilleurs et la défense de l’ordre propriétaire ». La constitution de notre Vème ne vise pas autre chose. Alors JJU si vous êtes satisfait de cette nomination au conseil constitutionnel, j’en conclus que vous êtes du côté des meilleurs et des propriétaires… mais je n’ai peut-être rien compris.
Réaction de JJU :
Disciple d’Althusser, Jacques Rancière est un philosophe marxiste qui a passé toute une vie à voguer à contre-courant, à ne pas être d’accord sur le monde tel qu’il est et à inventer sa manière à lui de le faire savoir. Je n’ai personnellement jamais très bien compris sa définition de la démocratie, qui n’est pas à ses yeux, une forme particulière de gouvernement… Je ne comprends pas plus la citation que vous évoquez sur le rôle qu’aurait joué la constitution de Philadelphie.
En tout état de cause, dans ma note de ce jour, je ne jugeais pas les nominations au Conseil constitutionnel, j’émétais un avis sur le mode de composition de notre juridiction constitutionnelle. Et je confirme qu’en l’espèce, ce qui compte n’est pas tant ce mode, que l’usage que font les membres du conseil de leur statut qui leur garantit l’indépendance de jugement. Je ne crois pas en effet que la loi sont en soi parfaite et intouchable comme l’a longtemps pensé la doctrine française au point que le parlement finit par se croire omnipotent.
Le conseil constitutionnel est un autre exemple d’institution non démocratique parce que comme une majorité des français, je le redécouvre à l’occasion de cette nomination. Pour moi, est démocratique ce qui est élu directement.
Je sais cette démocratie là c’est le bazar, surtout pour ceux qui on a perdre beaucoup.
Cela ne m’empêchera pas d’aller voter dans deux mois « pour le monde tel qu’il est »
Vos distingos juridiques ne peuvent intéresser qu’une poignée de spécialistes de haute volée.
Démocratie formelle ou réelle ou autre forme; vis-t-on dans un espace qui tend vers une plus grande démocratie? Tocqueville n’a pas écrit des trucs là-dessus avant les autres?
Avec Sarko, je crains que la démocratie soit mise à mal, et qu’on aurait constamment la mitraillette du 49.3! et de nouvelles ordonnances pour remonter ou tuer le malade, au choix!
Réaction de JJU :
Noël, il n’est interdit de se servir de ce blog aussi pour avoir un échange sur le droit.. Après tout, quelques étudiants me font l’amitié d’y venir et je crois que cet échange avec Michel n’est pas dénué d’intérêt…
Exact avec Sarko, ça ne sera pas terrible mais il est important à certaines occasions de rappeler que nos institutions ne sont pas forcément un pur modèle de démocratie où chacun aurait le droit de s’exprimer. Lorsque des courants ou partis risquent de ne pas être présents à l’élection présidentielle par manque de signatures ou qu’ils risquent de faire un score minable parce que des gens comme moi préféreront voter utile pour ne pas revoir 2002, alors je dis que cette élection présidentielle n’est pas démocratique.
Pour le conseil constitutionnel, en définitive, est-ce qu’il faut se poser la question de savoir si une maison de retraite est démocratique ?
Je m’en voudrais de faire un procès aux éminents spécialistes du droit dont je reconnais l’absolue nécéssité , et quantité de gens font le détour pour prendre la température; moi-même, j’y apprends chaque jour quelque chose. Mon grain de sel n’est là que pour ajouter un peu de couleur!
Mais vu de loin, c’est un peu comme le règlage d’un moteur de formule 1, affaire de spécialistes! Bref…