Evidemment, j’ai répondu positivement à l’invitation de Bernard Poignant de célébrer comme il se doit la fête nationale dans les jardins du théâtre.
Selon les mots du maire, c’était une « garden pâté », clin d’œil à la manifestation annulée à Paris au nom de la sobriété de l’Etat par le Président de la République. Plus simplement, c’était un pique-nique républicain où chacun était convié à apporter de quoi se sustenter. Malheureusement, la pluie a largement hypothéqué le plaisir du partage.
Naturellement en apéritif, nous eûmes droit à deux discours. L’un du maire et le second du représentant de l’Etat en l’espèce le directeur de cabinet du préfet. J’en ai retenu les hésitations historiques pour fixer une date célébrant la concorde républicaine et le nom du député qui proposa le « 14 juillet ». C’était Benjamin Raspail, député de la Seine siégeant dans le groupe de la gauche républicaine.
C’est lui qui rédigea la proposition de loi que signèrent 64 députés. L’Assemblée vote le texte dans ses séances des 21 mai et 8 juin 1880 et la loi fut promulguée un mois plus tard le 6 juillet.
Quel beau et grand jour que ce 14 juillet. Hasard de l’Histoire, il semble qu’en 1435, Charles VII voulu en faire la fête « nationale » du pays…Avant de lui préférer le 8 août en remerciement de la victoire d’Orléans.
Le 14 juillet est la fête de la Liberté, de notre liberté. Le 14 juillet 1789, la France s’est libérée d’un régime politique et social qui étouffait les aspirations de la Nation. Geste magnifique, mais non inédit, car d’autres peuples avaient déjà connu pareils sursauts de dignité et avaient conquis leur liberté.
Ce qui fait la caractéristique du geste français et qui lui donne une immense portée, Albert Bayet l’a déjà noté, c’est que le révolutionnaire de 1789 ne se contenta pas de se libérer. En même temps que lui-même, il a voulu libérer l’Homme. Sans distinction de confession, de couleur ou de race.
Voilà la vraie grandeur de l’événement. Par la Déclaration des Droits de l’Homme, la France proclamait sa volonté de défendre partout la personne humaine, les valeurs humaines. Déclaration qui prenait tout son sens si l’on songe au corollaire généreux qu’elle imposait aussitôt : l’abolition de l’esclavage dans les terres françaises. La chute de la Bastille parisienne symbolisait et entraînait celle de toutes les bastilles et singulièrement celle de la servitude injuste qui pesait sur les Hommes asservis.
Le 14 juillet est aussi le fruit d’un héritage. Car si c’est effectivement la III République qui va en faire la « fête nationale » officielle du pays – après que Louis XVI ait reconnu la « fête de la fédération » en 1791 ! – c’est grâce aux révolutionnaires de 1848.
Ceux ci, reprenant la réforme si généreusement amorcée par ceux de 1789, abolirent définitivement l’esclavage, et, à ce bienfait, en ajoutèrent un autre également précieux : le droit d’expression, par l’instauration du suffrage universel aux colonies comme en France ! Victor Hugo, humaniste et apôtre de la fraternité des hommes, défenseur puissant de toutes les minorités opprimées ; Lamartine, perméable à toutes les misères humaines et âme fraternelle pour tous les déshérités ; Victor Schoelcher, le Wilber-force français, combattant tenace de la cause de la libération des Noirs.
Le 14 juillet, c’est enfin ce jour si beau où les Français se réunissaient pour commémorer le souvenir d’une « certaine France », évitant ainsi au renoncement de guetter les Français lors de l’Occupation. Si l’on avait su abattre ce jour là une monarchie millénaire, comment pourrait on ne pas recommencer avec un autre régime honni ?
Pas un chat lors de cette fête des nostalgiques de Marat, Carrier, Turreau, Robespierre, Danton, Collot d’Herbois, Fouquier Tinville, Westermann, Saint Just, Desmoulins, Couthon, Barère et autres égorgeurs.
« Par la Déclaration des Droits de l’Homme, la France proclamait sa volonté de défendre partout la personne humaine, les valeurs humaines. »
Oui et la France ne mit pas longtemps à démontrer que c’était là au dessus de ses moyens et de ses aspirations. 4 ans plus tard on détruisait la population vendéenne, sans distinction d’appartenance politique. Babeuf a inventé le nom de « populicide » pour cette aventure très républicaine, dirigée par la Convention.
Il n’est pas certain que la France représente absolument une telle aspiration. Les algériens ne me contrediront guère.
« La chute de la Bastille parisienne symbolisait et entraînait celle de toutes les bastilles et singulièrement celle de la servitude injuste qui pesait sur les Hommes asservis. »
Sortis de cette bouffée mystique, il s’agit plus prosaïque de la prise d’un fort ou se trouvait moins d’une dizaine de prisonnier dont un irlandais se prenant pour le Christ.
Et le 14 juillet est la fête de la fédération, non pas de la chute de la Bastille.