Le conseil des ministres d’hier a adopté dans une grande discrétion un projet de loi organique permettant la mise en œuvre de la procédure de destitution du Chef de l’Etat instituée par la loi constitutionnelle n° 2007-238 du 23 février 2007.
C’était en effet une lacune : le statut pénal du Président de la République a été modifié il y a 5 ans et on attendait toujours la loi permettant de fixer les modalités concrètes de la mise en œuvre. Normalement ce point ne devrait pas poser de difficulté car la voie a été balisé par un rapport établi par Pierre Avril à la demande de Jacques Chirac.
Or à ma grande surprise, je viens de constater que le texte adopté s’écarte très nettement de l’intention du constituant puisqu’il institue un filtrage qu’exercera la Commission des lois de la chambre saisie. J’avoue mon incompréhension : rien dans la rédaction de l’article 68 de notre loi fondamentale ne peut justifier une telle restriction dans la mise en œuvre de la procédure de destitution.
Je suis donc conduit à l’interpréter comme une volonté de à corseter toute éventuelle initiative de l’opposition. Décidemment, cette majorité a du mal avec les contre-pouvoirs.
« Article 1er
La décision de réunir la Haute Cour résulte de l’adoption d’une proposition de résolution par les deux assemblées du Parlement, dans les conditions fixées par l’article 68 de la Constitution. »
L’article 1er me semble déjà contredire la Constitution. En effet, si mes souvenirs sont bons…L’article 34-1 de la Constitution dispose que « les assemblées peuvent voter des résolutions » pour « exprimer un avis sur une question de leur choix ».
Or demander la réunion de la Haute Cour n’est pas une question ! C’est reconnaître un doute sur les bonnes pratiques du Président dans l’exercice de ses « devoirs constitutionnels » ! Quand un procureur ouvre une enquête…C’est pour éclairer la Société sur une situation donnée ! Non pour se prononcer sur la situation donnée !
Si une résolution vise à « donner un avis »…On sort du cadre légal, en l’utilisant dans le cas d’une demande d’ouverture d’un procès incriminant le Président…Qui comme tout justiciable, bénéficie, bien évidemment, de la présomption d’innocence. La Haute Cour ayant vocation de juger des actes – et non un homme – et le Parlement…Celui de transmettre une demande d’enquête.
La « résolution » est donc, en soit…Inconstitutionnelle, à mes yeux, puisqu’on demande un « avis » (forcément personnel) au Parlement…Sur la conduite d’un Président. Il y a donc ici viol manifeste de la séparation des pouvoirs.
Il y a ensuite, de par cette procédure, entrave à l’exercice du mandat parlementaire. En effet, le Parlement est un contre pouvoir, au sens où il a pour mission d’exercer un contrôle sur l’Exécutif…Mais ne peut jamais le « punir » lui même…Sauf délégation express du Souverain. Ainsi ne demande t on pas au « Parlement » mais à la « Haute Cour » de « juger » le Président…Comme ce dernier peut « juger » l’Assemblée Nationale via l’arme de la dissolution.
Or, dans le cadre de la « résolution » le Parlement est plus qu’entravé. Qu’on en juge : « ne peuvent être à l’ordre du jour les propositions de résolution dont le Gouvernement estime que leur adoption ou leur rejet serait de nature à mettre en cause sa responsabilité ou qu’elles contiennent des injonctions à son égard »…
Bref, c’est un permis à l’impunité, si on met la résolution comme « cadre légal » de la destitution du Chef d’Etat ! Car systématiquement, le Premier Ministre verra sa « responsabilité engagée » puisqu’il contresigne tous les actes présidentiels !
« La proposition de résolution est motivée. Elle est signée par au moins un dixième des membres de l’assemblée devant laquelle elle est déposée. »
Une « résolution » ayant (dixit le Président de l’A.N) mission « d’expliquer » (c’est une « déclaration de principe ») elle est forcément « motivée » ! Mais là encore, le choix de ce type de document est pour le moins curieux…Sinon soupçonnable de quelques desseins sans rapport avec l’intérêt général.
En effet, une résolution n’a pas de valeur contraignante, elle exprime une doléance, un voeu. Surtout, une résolution se définie comme un accompagnement de la loi, un « sous décret » en quelque sorte, dont l’expression est purement évasive !
Bref, le recours à semblable procédé, pour prendre une décision plutôt grave tout de même – on ne destitue pas tous les jours tout de même ! – est pour le moins étonnant, sinon choquant ! Le Président peut il être un « justiciable » comme les « autres »…Si la force juridique du texte qui lui est imputé, est sans contrainte d’aucune sorte…Au contraire d’une plainte, par ex, qui est un document juridiquement contraignant ?
Les parlementaires déposant une demande de réunion de la Haute Cour ne font pas une doléance au Monarque divin ! Ils expriment une inquiétude, qui doit se traduire aussi fortement, en droit, que la plainte d’un citoyen lambda, à l’endroit d’un dysfonctionnement de l’administration !
La « résolution » telle qu’on la présente dans ce « projet de loi » est à mon sens particulièrement humiliante pour le Parlement. D’une part, contrairement au PE, le Parlement Français bénéficie d’un pouvoir législatif propre, et plus encore constituant. D’autre part, la tradition française veut que le pilier juridique de la France soit la DDHC…Laquelle est indibutablement rattachée à la Révolution française.
Or, qu’est ce, finalement, qu’une « résolution » ? Sinon des « doléances » parlementaires ? On demande aux parlementaires dépositaires de motiver leur demande, de présenter une requête, qui doit recevoir l’aval du Gouvernement. Se croit on revenu à 1788, où les Etats Généraux se voyaient octroyer le droit de rédiger des cahiers de doléances ? Avec l’espoir que Louis XVI prenne le temps de les lire ?
Si le Président est un « justiciable » comme les « autres »…Alors le Parlement doit avoir les mêmes droits qu’un citoyen lambda. Il doit pouvoir déposer une plainte, collective ou personnelle…Et c’est à la Haute Cour qu’il reviendra de se pencher sur le dossier…Après un éventuel passage devant une autorité judiciaire (reconnue par l’UE) qui ne saurait être une « commission parlementaire » (sinon il y a violation de la séparation des pouvoirs) qui à mon sens ne peut être que la Cour de Cassation ou/et le Conseil Constitutionnel…Même si la première m’apparait plus légitime.
« La proposition de résolution est communiquée sans délai par le Président de cette assemblée au Président de la République et au Premier ministre. »
En aucun cas. Aux éventuels défenseurs du « suspect » pourquoi pas. Mais dans notre pays, on ne reçoit pas la « plainte » d’une personne, à son encontre, directement ! C’est l’autorité judiciaire qui fait parvenir au domicile du « prévenu » un papier lui expliquant qu’il y a eu plainte contre lui, quels sont les chefs d’accusation…Mais il n’y a pas transmission de la plainte par la Police !
« Aucun amendement n’est recevable à aucun stade de son examen dans l’une ou l’autre assemblée. »
Forcément, puisqu’il s’agit d’une plainte !
« Article 2
Dans chaque assemblée, la proposition de résolution est envoyée pour examen à la commission permanente compétente en matière de lois constitutionnelles. »
Mais il s’agit ici d’une « résolution »…Non d’une « loi » ! La conformité de cette dernière à la Constitution n’a pas d’importance, puisqu’elle n’est pas contraignante !
« La commission de la première assemblée saisie s’assure que la proposition n’est pas dénuée de tout caractère sérieux. A défaut, la proposition ne peut être mise en discussion. »
Le Parlement ne détient pas de pouvoirs en propre. Les pouvoirs – législatifs et constituants – qu’il « possède » ne lui sont que mandatés ! Et en vertu de la séparation des pouvoirs…Et de notre participation à l’Union Européenne, tout citoyen (lambda ou non) doit passer devant un tribunal « impartial » ! Et toute décision relative à la constitutionnalité des lois…Relève du CC !
En la circonstance, la « commission des lois » n’est pas légitime…Sur le plan légal français comme européen. En effet, sa partialité ne fait aucun doute, mais en plus le mandat qu’exerce ses membres s’oppose à toute tentative d’exercer un mandat autre, à savoir l’interprétation des lois, qui est prérogative de l’autorité judiciaire, dans notre beau pays…!
Le Législateur – et le constituant secondaire – a le pouvoir de « faire la loi ». Nullement celui de l’interpréter ! Cette une prérogative du juge…Et y porter atteinte revient à violer le traité de Lisbonne ! Et la DDHC ! Ajoutons à cela, qu’aux vues des censures récentes du CC, à l’endroit de « lois » pourtant examinés par lesdites commissions parlementaires…On ne peut que douter du « sérieux » et de la « compétence » des membres de celles ci, en droit constitutionnel ! S’ils sont aussi « performants » qu’en technologie informatique…Tout va bien !
« Article 3
La proposition de résolution adoptée par une assemblée est immédiatement transmise à l’autre assemblée. Elle est inscrite de droit à son ordre du jour, au plus tard le treizième jour suivant cette transmission. Le vote intervient de droit, au plus tard le quinzième jour. »
Mais comme il s’agit d’une plainte, il n’y a pas de vote « préalable » sur un avis personnel du reste !
« Article 4
Lorsqu’une proposition de résolution tendant à la réunion de la Haute Cour a été adoptée par chacune des assemblées, le bureau de la Haute Cour se réunit aussitôt. »
Pourquoi pas la Haute Cour immédiatement ?
« Le bureau de la Haute Cour est formé de la réunion, en nombre égal, de membres du bureau de l’Assemblée nationale et de celui du Sénat. »
Quoi ? Mais l’Assemblée Nationale est « prioritaire » en droit !
« Il est présidé par le Président de la Haute Cour. »
Qui est un membre…Du Sénat ou de l’Assemblée ?
Le bureau prend les dispositions nécessaires pour organiser les travaux de la Haute Cour.
Article 5
Une commission constituée, en nombre égal, de vice-présidents de l’Assemblée nationale et du Sénat est chargée de réunir toute information nécessaire à l’accomplissement de sa mission par la Haute Cour.
La commission dispose, à cet effet, des prérogatives reconnues aux commissions d’enquête par les dispositions régissant le fonctionnement des assemblées parlementaires dans les mêmes limites que celles fixées par le deuxième alinéa de l’article 67 de la Constitution.
La commission entend, sur sa demande, le Président de la République. Celui-ci peut se faire assister ou représenter.
La commission élabore, dans les quinze jours suivant l’adoption de la résolution un rapport qui est distribué aux membres de la Haute Cour, communiqué au Président de la République et au Premier ministre et rendu public.
Article 6
Les débats de la Haute Cour sont publics.
Outre les membres de la Haute Cour, peuvent seuls y prendre part le Président de la République ou son représentant et le Gouvernement.
Le temps de parole est limité. Le Président de la République ou son représentant peut prendre ou reprendre la parole en dernier.
Le vote doit commencer au plus tard quarante-huit heures après l’ouverture des débats.
La Haute Cour est dessaisie si elle n’a pas statué dans le délai d’un mois prévu au troisième alinéa de l’article 68 de la Constitution.
Article 7
L’ordonnance n° 59-1 du 2 janvier 1959 portant loi organique sur la Haute Cour de justice est abrogée.