Le parlement va-t-il une victime collatérale d’une surenchère entre les hautes juridictions de ce pays ?
C’est la question que l’on est en droit de se poser à la suite de la décision de l’Assemblée plénière de la Cour de Cassation rendue le 31 mai 2011.
Au-delà du fond de la décision, difficile de ne pas l’interpréter comme le dernier épisode en date d’un « dialogue » des juges qui tourne au vinaigre… En effet, depuis la création de la « Question prioritaire de constitutionnalité » les relations entre la Cour de Cassation (en particulier son premier président) et le Conseil Constitutionnel sont notoirement tendues.
Le conflit a pris ses origines dans la question préjudicielle que la Cour a adressée en avril 2010 à la CJUE sur la compatibilité de la QPC avec le droit de l’Union. La Cour a été ensuite suspectée de vouloir saborder la réforme en refusant de transmettre des QPC (en particulier celle sur la loi Gayssot).
En retour, le Conseil Constitutionnel a validé en juillet dernier un amendement que nous avions voté pour supprimer la formation spéciale de la Cour de cassation chargée du renvoi des QPC. Pourtant juridiquement le Conseil aurait parfaitement pu estimer qu’il était dépourvu de tout lien avec le texte… Le même conseil a également jugé en octobre qu’il apprécierait la conformité à la Constitution des dispositions législatives telles qu’interprétées par les juridictions ordinaires, ce à quoi la Cour de cassation s’était opposée.
Bref, une compétition pour savoir qui des deux sera le meilleur gardien de la liberté individuelle.
Faut il s’étonner du « combat » entre les deux « Cours » ? Je ne pense pas. On se trouve face à deux légitimités :
-la Cour de Cassation estime – avec des arguments tangibles – que le CC ne peut examiner la constitutionnalité des textes qui lui sont soumis…Puisque ses membres sont « illégitimes » au regard des textes européens, notamment le traité de Lisbonne, avec la fameuse « Charte des droits ».
Comme beaucoup, la Cour de Cassation – soutenue dans son combat par un certain député PS ? – constate que le CC manque d’indépendance envers le « pouvoir », qu’il n’a que peu de ses membres qui disposent de compétences juridiques…Et surtout la Cour est frappée par les conflits d’intérêts permanents au sein de l’Institution. Dernier cas en date : l’affaire CHIRAC.
Bref, au regard de la Charte des droits, le CC n’est pas compétent pour agir impartialement, et ses avis sont donc illégaux.
-le CC, lui s’appuie – pour se défendre – sur une conception française de la répartition des pouvoirs. Première cour constitutionnelle française – en dehors des Pairs du Royaume et grosso modo l’Assemblée constituante – il bénéficie (à juste titre) d’une aura auprès des Français. Par le passé, il a démontré sa capacité à ne pas suivre (en permanence) le Gouvernement, et lui a souvent infligé des camouflets retentissants (HADOPI par ex). La QPC a, en quelque sorte, redonné du prestige à l’Institution, dans le même temps. Et grosso modo, il est dans l’univers français, plutôt « respectable » comparativement au Parlement – chambre des godillots pour les Français – et au Gouvernement – château d’incompétents – sans parler (à présent) du Président qui en prend pour son grade (merci M. SARKOZY ?)
D’une certaine manière, le CC peut donc considérer qu’il est, pour la France, une de ces exceptions qui font le charme de notre pays. Et juridiquement, il peut prouver son indépendance, même sa compétence…En allongeant la liste de ses « réprimandes » à l’endroit du Parlement ou/et du Gouvernement.
Il a – enfin – un dernier atout en main : il ne dérange pas la CJUE. Contrairement à la Cour de Karlsruhe, qui agit en vraie Cour suprême, le CC a toujours jouer – peut être en raison de sa composition très politique – la tempérance, voire la diplomatie. La Cour de Cassation, elle, peut faire peur…Elle pourrait, après avoir joué la carte du pacte amicale, se retourner contre la CJUE, en lui disputant sa place…Voire (après tout) en la déligitimant pour des motifs semblables (comment être assuré de l’impartialité des juges de la CJUE, qui sont nommés par des exécutifs nationaux ?)
Quant à la classe politique…Il est certain qu’elle va continuer à naviguer entre les deux eaux !
Ce qui est « amusant » (quelque part) c’est que ce combat homérique, entre les deux Cours…Semble être un héritage du passé.
En effet, le « Parlement » de Paris – et ses dépendances provinciales – voulait être un « Parlement » au sens anglais du terme, pas seulement une « chambre d’enregistrement ». Bien que composé essentiellement de membres de la noblesse, cette « Cour » avait un soutien de poids (en général) : le Peuple. D’où les fameuses « frondes » parfois remportées par ledit « Parlement » qui dans son quotidien ne s’en faisait pas compter, en envoyant régulièrement au monarque des « remontrances » bien salées !
Bien qu’élitiste – un peu comme la Cour de cass – le « Parlement de Paris » se voulait LA Cour suprême du pays. C’est lui qui (déjà) réglait le droit des « coutumes ». C’est lui qui « demandait » (avec quelques menaces à la clé) au roi de ne pas signer tel document ou d’approuver tel autre. Sans légitimité pour agir au plan législatif – pas plus que n’en a la Cour de cass pour définir la constitutionnalité – le « Parlement » ne se génait donc pas (dans la pratique) pour déposséder le monarque de son droit (pas plus que la Cour de cass de « dire le droit » en lieu et place des parlementaires !)
De son coté, le CC c’est un peu un mix des Pairs de France et des Etats Généraux avant 1789. On le requière quand on en a besoin – si on ne le fait pas, il ne peut se saisir lui même – il intervint en bout de parcours (quand le roi a des besoins d’argent rapide ou demande des aides en hommes) et bénéficie d’un grand prestige dans le Royaume (en raison de sa rareté)
Il correspond à la Société – d’Ordres ou la V République – et acquière par elle sa légitimité. Ainsi, la fameuse « loi des mâles » devenue dogme pour les Français jusqu’à la Révolution, est elle le fruit d’une décision des Pairs du Royaume, appelés à se prononcer sur la « constitutionnalité » du recours de Edouard III pour le trône de France. Ainsi, en 1789, les représentants des Trois Ordres, unis, déclareront ils être plus légitimes que le roi…En raison de leur réprésentativité de la Nation (nouveau concept sociétaire)
On sait qu’au final, ce sont les Etats Généraux – partis perdants – qui ont gagné la partie. On sait aussi que dès 1788, comprenant que leur « combat » pour l’ouverture desdits états, s’avèrait trop concluants, les « Parlements » avaient battu en retraite…Et par là même avaient perdu tout crédit auprès des Français.
Nous sommes dans le même schéma. Et le plus « drôle » si je puis dire, c’est que le Parlement se trouve (en la matière) dans la situation du monarque. Une position qui est déterminante car le Parlement a – c’est une chance formidable ! – le rôle d’arbitre.
Victime collatérale ? Oui…Si les parlementaires agissent comme Louis XVI. C’est à dire laissent le jeu de ping pong se faire sans leur concours. Au risque de finir comme le roi : en instrument dérangeant dont il convient de se débarrasser.
Gagnant du jeu ? Oui…Si les parlementaires comprennent – il serait temps – qu’il faut utiliser un de leur « talent » supposé : leur sens politique ! En la matière, un certain Philippe le Bel a été très fort. Conscient que « l’Université » voulait s’élever, que le « Parlement » voulait briller…Il les a tous les deux instrumentaliser…Contre le Pape ! Et à son profit !
Alors bien sur, il ne suffit pas de copier. Il faut avoir du sens politique. Convient il de se rallier à la Cour de Cass, comme M. MONTEBOURG ? Peut être. Faut il se faire l’allié du CC ? Peut être. Faut il utiliser les deux pour être l’arbitre qui tranche au final ? Pourquoi pas.
A vous de voir M. URVOAS. Une seule chose reste importante : le Parlement peut tirer son épingle du jeu…Mais le voudra t il seulement ? Là est la grande question.