Consécutivement à « l’affaire Merah », Manuel Valls avait confié une mission d’inspection à un inspecteur général et un contrôleur général de la police nationale.
Le 19 octobre, les deux fonctionnaires ont remis un rapport au ministre de l’Intérieur qui a aujourd’hui décidé de le rendre public. Il convient de saluer la portée historique de ce geste concernant les services de renseignement.
En outre, il a pris soin de réserver la primeur de ce document au Parlement afin de souligner le rôle qu’il entend confier à ce dernier. Là encore, il convient de saluer le caractère inédit de cette démarche.
Néanmoins, la lecture du rapport conduit à faire preuve d’une certaine prudence. En effet, le temps passé par les deux policiers et les moyens déployés n’interdisent pas que plusieurs aspects de l’affaire n’aient pas été totalement analysés. Par ailleurs, la dépendance de l’Inspection générale de la police nationale à l’égard de la Direction générale de la police nationale (administration de tutelle de la DCRI) ne constitue pas une garantie d’indépendance et de détachement nécessaires à la mise en lumière d’éventuels dysfonctionnements.
On remarque ainsi que les probables défaillances humaines sont éludées au profit de considérations purement administratives et organisationnelles. Or, le jugement porté prend le parti de ne jamais remettre en cause la structuration administrative née de la réforme de 2008.
Enfin, on peut regretter l’absence d’analyse du management des directions concernées. Pourtant, apparaissent en creux les défauts induits par la création de la DCRI, laquelle semble victime d’une surcharge de travail, de l’attentisme de ses services territoriaux, du manque de coordination entre les différents échelons, d’une absence de culture commune entre les anciens de la DST et de la DCRG. Le rapport précise d’ailleurs que la DST rencontrait moins de difficultés.
Concernant les préconisations réalisées en réponse aux dysfonctionnements constatés : certaines découlent du bon sens commun (nécessaire harmonisation des moyens de lutte contre le terrorisme au niveau européen et international, dialogue avec l’autorité judiciaire…), d’autres paraissent sous-dimensionnées (accroissement de la collaboration entre la DCPJ et la DCRI, lien approfondi avec l’administration pénitentiaire), et d’autres encore suscitent le plus grand scepticisme. A ce titre, la promotion de la sous-direction à l’information générale ne manque pas de surprendre ceux qui s’intéressent à la thématique.
Enfin, certains aspects sont repoussés d’un revers de main sans plus d’explication (pouvait-on entraver judiciairement Mohamed Merah, compétence judiciaire de la DCRI…).
En substance, en raison de sa nature (un rapport né d’une mission ad hoc), des préconisations réalisées (concernant notamment la nécessité d’un cadre normatif unifié pour confier des moyens aux services de renseignement en contrepartie d’un contrôle) et des doutes induits, le document publié souligne la légitimité du travail engagé par la Commission des lois concernant l’évaluation des services de renseignement. La réflexion entamée en septembre se poursuit et débouchera sur un rapport parlementaire rendu public au mois de mars 2013.
**Bonne initiative du Ministre Valls – le seul compétent ? – sur ce dossier comme sur d’autres. (Une seule petite critique. Je ne vois pas où est « l’urgence » de naturaliser tout le monde ! Je comprends la nécessité de revenir sur des critères effectivement discriminants (CDI nécessaire) ou ineffiscients (QCM culture française) mais faut il laisser penser aux éventuels « acquéreurs » de la nationalité française…Que celle ci vaut des clous ?)
J’apprécie son geste à l’endroit des parlementaires. Celui, aussi, envers les citoyens.
**Maintenant, pour ce qui est de la lutte contre le terrorisme…Est ce que le Parlement s’appuie aussi sur les observations (que je trouves personnellement intéressantes) du « coordinateur » de l’UE ?
A en croire Gilles de Kerchove, coordinateur de l’UE pour la lutte contre le terrorisme, la coordination européenne peut être vivement améliorée !
En effet, il semble que l’UE dispose d’agences spécialisées compétentes dans la lutte anti-terroriste : Europol, Eurojust, Frontex, ENISA (Agence européenne chargée de la sécurité des réseaux et de l’information). Mais elles sont peu connues des services concernés dans les Etats Membres. Et leur potentiel n’est donc pas utilisé pleinement. Par exemple, se demande Gilles De Kerchove, « combien d’enquêteurs dans les États membres de l’UE réalisent-ils qu’Europol peut demander au gouvernement des États-Unis d’effectuer des recherches dans le programme de surveillance du financement du terrorisme? »
Le même pointe un manque de coopération inter-agences. Par exemple, en 2011, sur 33 équipes communes d’enquête mises en place, seule une concernait le terrorisme. De même, si la situation s’améliore, le coordinateur européen constate qu’Eurojust n’est que très rarement invité aux réunions d’Europol. Il faudrait, à l’entendre, aussi détacher des magistrats d’Eurojust « auprès d’États tiers où le terrorisme menace gravement la sécurité intérieure de l’UE », comme prévu initialement.
Mais aussi surveiller les déplacements de djihadistes européennes qui partent s’entraîner à l’étranger : pour cela, une coopération entre Europol, Frontex mais aussi le SitCen (Centre de Situation, le service de renseignements européen qui est aujourd’hui intégré au service diplomatique européen) est indispensable.
Enfin, le coordinateur pense qu’il est important d’agir en amont, dans la prévention de la radicalisation. Une des pistes pour cela serait d’intégrer davantage cette dimension aux programmes de développement de l’UE. Il s’agit de s’attaquer aux conditions de développement du terrorisme : ce-dernier, en favorisant l’insécurité et l’instabilité, empêche tout essor social et économique. Le coordinateur européen recommande ainsi des études de terrain systématiques avant chaque projet de développement. Des experts de lutte anti-terroriste et de prévention de la radicalisation doivent aussi être associés, dès la programmation, aux politiques de développement.
**Pour en revenir à mister Meerah :
Ce qui, à mon avis, mérite l’attention, c’est le parcours « supposé » du criminel. De la même façon que pour les attentats de Londres, on n’a pas affaire là à un terrorisme importé, venant frapper de l’extérieur, avec des réseaux (comme la série d’attentats qu’a connues la France dans les années 1980, imputées au GIA ou à des groupes libanais sous impulsion iranienne) mais à un terrorisme du terroir, fait maison, c’est-à-dire un homme vivant sur le territoire, apparemment bien intégré qui, pour une raison ou une autre, a été convaincu de mener un autre combat, a été endoctriné et entraîné pour cela.
On pouvait penser naïvement que l’intervention massive en Afghanistan dont le premier objectif était d’éradiquer le terrorisme visant les pays occidentaux avait atteint ses objectifs. Il semble qu’il n’en soit rien. Si le passage de Merah dans un centre d’instruction d’Al Qaida en Afghanistan et au Pakistan n’est pas confirmé en tant que tel, il aurait cependant pu lors de ses séjours se former à certaines techniques. On pourrait alors dire que la fabrique de terrorisme que l’on visait en 2001 n’est pas encore disloquée. Et qu’il faudra désormais être plus qu’attentif. Car Merah n’a pas été, en effet, « formé » dans les années 1990 ni au début des années 2000 mais bien dans les années 2010, quand l’opération militaire en Afghanistan était normalement au plus fort de sa stratégie.
Cela oblige, à mon sens, plus que jamais à poser la question de ce que l’on fait en Afghanistan, pour quel objectif, avec quels moyens ? Il ne s’agit pas de dire seulement qu’on se retire d’Afghanistan, mais ce qu’on l’y fait après.
Pas comment on va stabiliser le pays ou l’amener vers de méthodes plus modernes de gouvernance. Mais comment on va s’assurer que le risque d’exportation terroriste qu’il semble toujours receler va être contré. Ce qui semble sûr en tout cas, c’est que la force internationale de sécurité (FIAS) n’a pas tout à fait réussi dans cet aspect de sa mission !
Au delà de cet aspect, je pense qu’il faut être beaucoup moins « laxistes » politiquement, avec le terrorisme. (En faire une énième « priorité » n’est pas une réponse suffisante)
En la matière, la réaction européenne a été relativement faible, au plan politique, lors des attentats en Norvège. Des condoléances à la Norvège, une réunion rapide des experts anti-terroristes et l’engagement d’Europol à mieux suivre les mouvements extrêmes (une cinquantaine d’enquêteurs serait mis sur le pont). Point. C’est sur qu’on fait peur aux terroristes ! Autant que le « renard » aux Antilles, qui ne fait guère plus peur qu’aux bouts de chou !