C’est un véritable serpent de mer de la vie parlementaire française : le principe de l’encellulement individuel, posé dans la loi dès 1875, voit sa mise en œuvre effective sans cesse repoussée à plus tard par le législateur depuis une quinzaine d’années. Après les moratoires de 2000 et 2003, la loi pénitentiaire de 2009 reporta à son tour l’application de la mesure… au 25 novembre 2014, date à laquelle son entrée en vigueur demeure inenvisageable.
Aussi Christiane Taubira, lors de la discussion du projet de budget du ministère de la Justice, a-t-elle déposé un amendement en vue de prolonger une nouvelle fois le délai, jusqu’en 2018. Je me suis opposé à ce qui aurait constitué un quatrième moratoire, considérant qu’il porterait atteinte à la crédibilité du Parlement, dont la vocation ne saurait être de voter des dispositions inapplicables. La ministre ayant consenti à retirer son amendement, il convient à présent de définir, très vite, les conditions qui nous permettent de sortir de l’impasse dans laquelle nous nous trouvons.
C’est dans cette optique que j’ai déposé, le 24 novembre, au nom de la commission des Lois, un rapport d’information sur l’encellulement individuel : http://www.assemblee-nationale.fr/14/rap-info/i2388.asp
Après une longue introduction où je rappelle les différents renoncements et déconvenues qui, depuis bientôt un siècle et demi, ont prévalu sur ce dossier, je m’attache à dresser un constat lucide de la situation présente dans les prisons françaises. La surpopulation carcérale atteint aujourd’hui un niveau record dans les maisons d’arrêt, avec un taux d’occupation moyen de 131,5 %. Dans ces conditions, le principe d’une cellule par détenu relève bien entendu du vœu pieux. Pour autant, les effets de cette surpopulation s’avèrent absolument catastrophiques, tant sur le plan de la dignité des personnes que sur celui du sens de la privation de liberté. Ils font de la prison un lieu de violences exacerbées, un lieu aussi où, faute d’activités accessibles, les détenus passent entre 20 et 22 heures par jour dans leur cellule et où le maintien des liens familiaux est gravement entravé.
Comment donc remédier à ce fléau, si lourd de conséquences funestes ? Je recense à cette fin un certain nombre de propositions, dont la mise en œuvre pourrait être rapide et les effets tangibles : développement des aménagements de peine et des alternatives à la détention, sortie de prison de détenus qui n’y ont pas leur place (handicapés, personnes âgées, auteurs de délits routiers ou liés à l’usage de stupéfiants…), instauration d’instances locales de régulation chargées d’adapter les flux d’entrée et de sortie aux capacités d’accueil des établissements, institution d’un numerus clausus, compensation de l’incarcération dans une cellule surpeuplée sous forme de remise de peine…
Les leviers ne manquent donc pas susceptibles de mettre un terme à ce véritable scandale. Nous devons agir très vite sachant que, depuis le 25 novembre et la fin du moratoire, l’Etat s’expose à des poursuites judiciaires pour non-respect du droit des détenus. Dominique Raimbourg doit de son côté remettre un rapport au Premier ministre sur le même sujet d’ici la fin du mois. J’attends ses conclusions avec impatience, et espère que nos contributions respectives poseront les jalons d’une réforme de fond, en rupture avec l’immobilisme et les atermoiements de ces quinze dernières années.